
Travailler plus pour gagner plus en agriculture ? Pas forcément
Publié le 28.05.2025
Pour gagner plus, faut-il être toujours plus productif ? La réponse semble aller de soi. Et pourtant, l’économiste Jean-Philippe Boussemart apporte une nuance à ce propos, mercredi 7 mai 2025. À l’occasion d’un après-midi consacré au revenu agricole à l’Académie de l’agriculture qui a réuni nombre d’économistes travaillant sur les questions agricoles, le professeur émérite à l’Université de Lille a présenté ses travaux basés sur les 64 dernières années (1).
En réalité, « seulement 7,6 % du revenu agricole est corrélé à la productivité du travail des actifs agricoles », estime l’économiste. Au contraire, 63 % du revenu des salariés est relié à leur productivité au travail : « il y a une corrélation entre l’effort productif des salariés et leurs revenus […] Si on regarde l’agriculture, ce n’est plus du tout le cas ».
Hausse du revenu, explosion de la productivité
C’était pourtant bien parti. Depuis soixante-quatre ans, malgré « l’extrême volatilité temporelle du revenu agricole […] on a une progression sur le revenu moyen des agriculteurs parallèle à celle des salariés français », indique Jean-Philippe Boussemart. Plus précisément, en 44 ans, le revenu par actif dans le secteur agricole a doublé, plus rapidement encore que pour les salariés (47 ans).
Si le revenu agricole a continuellement augmenté (+ 1,59 % par année) la productivité, elle, explose. Depuis 1960, la productivité du travail dans le secteur agricole a progressé à un rythme annuel moyen de 3,87 %. Concrètement, cela représente un « doublement de la valeur ajoutée par actif agricole en 18 ans », explicite l’économiste. En particulier entre 1973 et 2006, avec un « très fort gain de productivité ».
Avantage à l’aval
La productivité du secteur a donc profité aux agriculteurs puisque leurs revenus ont augmenté. Mais seulement en partie. Entre 1960 et 2023, les gains de productivité globale ont généré un surplus de rémunération par actif familial de 68 000 €, mais ces 68 000 € de gain de productivité ont été transférés à l’aval de l’agriculture (industriels, grande distribution et consommateurs) par le jeu des prix. « Si bien que la part qui revient aux agriculteurs n’est que de 28 637 € » soit moins de 500 € par an, par actif familial.
« L’agriculteur ne retire pas l’entier bénéfice de tous les gains de productivité qui ont été réalisés ». C’est en majorité (près de 58 %) l’aval de la filière : « la grande distribution, l’industrie agroalimentaire, les consommateurs », qui ont bénéficié de ces gains de productivité, devant les agriculteurs (42 %) et les fournisseurs (0,2 %).
Revirement depuis 2010
Pour l’économiste, trois périodes sont à distinguer : de 1960 à 1973 où « le revenu agricole tire profit des évolutions positives » des gains de productivité et des termes de vente avantageux. Ensuite, de 1973 à 2009, « les gains de productivité sont impressionnants », (+ 7,45 % par an) alors que « le revenu agricole ne progresse que de 1,15 % » avec un transfert aux acteurs de l’aval des bénéfices. Enfin, de 2010 à 2023, l’économiste constate une « remise en cause totale des tendances passées » avec un fort ralentissement de la productivité (1,1 % par an) tandis que le revenu par actif agricole a augmenté de 5,6 %.
Comment expliquer ce revirement positif pour les agriculteurs ? La baisse de la productivité est provoquée, entre autres, par la saturation des rendements, des contraintes financières, ou le vieillissement de la population active agricole, note l’économiste, tandis que les agriculteurs bénéficient d’une inversion des termes de l’échange à leur avantage, c’est-à-dire que les prix des produits qu’ils vendent sont supérieurs à ceux des charges.
(1) Jean-Philippe Boussemart a mis en place un indicateur sur soixante-cinq ans, le « résultat net de la branche agricole » par unité de travail. Il est calculé à partir de la valeur ajoutée, du compte d’exploitation, et du compte de revenu, ces trois chiffres étant publiés par l’Insee.
Site LaFranceAgricole - Actualités 16/05/2025