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Insaisissabilité de la résidence principale et de l'indemnité réparant des désordres l'affectant

L'indemnité visant à réparer des désordres de construction survenus dans la résidence principale de l'entrepreneur individuel en liquidation judiciaire étant insaisissable, elle doit lui revenir exclusivement.

Le liquidateur ne peut percevoir l’indemnité destinée à réparer des désordres affectant la résidence principale du débiteur en liquidation judiciaire qui, comme cet immeuble, est insaisissable. C’est la solution inédite consacrée par l’arrêt commenté rendu dans les circonstances suivantes. Des époux sont propriétaires de leur résidence principale. Ils font effectuer des travaux sur sa toiture qui ne leur donnent pas satisfaction et obtiennent d’un tribunal, par un jugement du 18 janvier 2018, la condamnation de l’entreprise de couverture à leur verser une indemnité réparatrice dont le moyen de cassation proposé indique qu’elle s’élevait à la somme de 36 380,80 €. Mais entre-temps, le mari avait été mis en liquidation judiciaire le 11 octobre 2017. Son liquidateur a alors prétendu toucher cette somme. La cour d’appel y consent, mais son arrêt est cassé par celui commenté.

Avant d’analyser cette nouvelle conséquence particulière que la jurisprudence attache à l’insaisissabilité de la résidence principale, il convient de présenter cette insaisissabilité.

L’insaisissabilité de la résidence principale de l’entrepreneur individuel

Cette insaisissabilité a d’abord résulté d’une déclaration notariée qui devait être souscrite par l’entrepreneur puis être publiée. Depuis la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron, cette insaisissabilité est devenue légale et, selon l’article L. 526-1 du code de commerce, qui constitue le siège de la matière, elle profite de plein droit, sans formalité particulière, à toute personne physique immatriculée (aujourd’hui) au registre national des entreprises. L’insaisissabilité porte sur ses « droits […] sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale ». Elle concerne aussi bien une personne in bonis qu’une personne soumise, comme en l’espèce, à une procédure collective. Mais, comme l’insaisissabilité n’est opposable qu’aux créanciers « dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle de la personne » protégée, c’est essentiellement lorsqu’une procédure collective est ouverte que la confrontation entre l’insaisissabilité et les droits des créanciers dits professionnels, représentés par le mandataire judiciaire ou le liquidateur, est la plus fréquente et pose le plus de difficultés. C’est en effet dans cette situation que le débiteur se trouvera, le plus souvent, face à une pluralité de ces créanciers.

Interprétant strictement l’article L. 526-1 précité, la Cour de cassation tire toutes les conséquences de l’exception notable que ce texte apporte aux règles classiques de l’unité du patrimoine du débiteur et de la généralité de l’effet réel des procédures collectives qui, normalement, s’étend à tous les biens de celui-ci, puisqu’aux termes de l’article 2285 du code civil, « les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers ». Le bien immobilier qui constitue la résidence principale du débiteur échappe à cet effet réel. Il n’entre pas dans le gage commun, du moins celui des créanciers professionnels, et ceux-ci, représentés notamment par le liquidateur, ne peuvent pas le saisir, le vendre ou le partager ou, plus généralement, exercer sur lui des poursuites. À leur égard, il est donc hors procédure collective. La solution est constante. La Cour de cassation l’avait déjà consacrée quand l’insaisissabilité résultait d’une déclaration notariée. Elle a fait de même pour l’insaisissabilité légale (Voir, par exemple, Cass. com. 11 sept. 2024, n° 23-17.721) et l’arrêt commenté confirme que le liquidateur ne peut pas réaliser l’immeuble, puisqu’il précise « que l’immeuble insaisissable de plein droit appartenant à un débiteur en liquidation judiciaire n’entrant pas dans le gage commun de ses créanciers, le liquidateur n’est pas investi par l’effet du jugement d’ouverture du pouvoir d’accomplir les actes de disposition […] sur ce bien ».

En-deçà, il n’a même pas le pouvoir d’effectuer de simples actes d’administration sur lui, puisque c’est le débiteur qui, non dessaisi de ses droits sur sa résidence principale, continuera de l’administrer librement. L’arrêt en déduit logiquement que les dommages-intérêts voués à indemniser des désordres de construction subis par la résidence principale doivent lui revenir exclusivement.

L’insaisissabilité de l’indemnité réparant des dommages causés à l’immeuble insaisissable

La résidence principale étant exclue du périmètre de la procédure collective, son sort n’intéresse pas le liquidateur qui ne peut l’appréhender. Il n’a donc pas davantage qualité pour agir en réparation de l’immeuble, ce que l’arrêt commenté précise expressément dans son « chapeau ». Seul le débiteur peut le faire et l’indemnité qu’il obtient à ce titre doit, par conséquent, lui être remise personnellement, malgré son dessaisissement par ailleurs. La solution est logique. Elle s’accorde, au demeurant, avec celle que la loi a elle-même prévu dans l’hypothèse où les droits immobiliers sur la résidence principale seraient cédés. Dans ce cas, l’article L. 526-3 du code de commerce rend également insaisissable le prix de vente, sous la seule condition de son remploi dans l’année pour l’acquisition d’une nouvelle résidence principale. Même si, avec l’indemnité réparatrice des désordres affectant la résidence principale, l’on ne se trouve pas exactement dans l’hypothèse de subrogation réelle que prévoit l’article L. 526-3 précité (où une chose, le plus souvent une somme d’argent, se substitue juridiquement à une autre, tel un prix qui remplace le bien matériel vendu, à la valeur duquel il correspond), l’idée sous-jacente est très proche. L’indemnité due pour réparer l’immeuble a pour objet de préserver la valeur du bien endommagé. L’immeuble étant insaisissable, comme son prix ou sa valeur, toutes les sommes qui sont liées à sa propriété devraient l’être également, comme l’indemnité destinée à maintenir l’immeuble en bon état. Et il est probable que la Cour de cassation déciderait que l’indemnité due par un assureur par suite d’une destruction de l’immeuble (en raison d’un incendie, par exemple), serait, elle aussi, remise au débiteur, à l’instar d’une indemnité résultant d’une condamnation judiciaire, comme en l’espèce.

L’arrêt n’avait pas à résoudre une question qui pourrait se poser. Nous avons vu que l’insaisissabilité n’était opposable qu’aux créanciers professionnels. Dans ces conditions, les créanciers dits non-professionnels, qui peuvent appréhender l’immeuble, auraient-ils une action sur les dommages-intérêts et laquelle ? La réponse n’est pas simple et il faudra attendre une autre occasion pour la connaître. 

Cass. com., 30 avr. 2025, n° 24-10.680, n° 210 B - Site EditionsLégislatives 15/05/2025

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