Usufruit : les travaux d'amélioration réalisés par l'usufruitier peuvent être constitutifs d'une libéralité
Publié le 02.01.2025
Bien qu’il soit titulaire d’un droit réel de jouissance portant sur le bien appartenant au nu-propriétaire, rien n’interdit à l’usufruitier de procéder à des améliorations, à charge toutefois de conserver la substance du bien soumis à usufruit (C. civ., art. 578). Mais il ne peut réclamer aucune indemnité à la cessation de l'usufruit, même si la valeur du bien s’en trouve augmentée (C. civ., art. 599).
Cependant, selon la Cour de cassation, la réalisation de travaux d’amélioration par l’usufruitier n’est pas, en elle-même, exclusive de toute libéralité. En outre, les Hauts magistrats confirment que les travaux qui sont légalement à la charge de l’usufruitier peuvent également être constitutifs d’une libéralité, le cas échéant.
Remarque : cette décision n’est pas incompatible avec la jurisprudence selon laquelle les constructions nouvelles réalisées par l'usufruitier, également qualifiées d’améliorations au sens de l’article 599 du code civil, ne constituent pas des donations indirectes taxables aux droits d'enregistrement lors de leur réalisation. En effet, la solution est fondée sur le fait que le nu-propriétaire n’accède à la propriété des constructions nouvelles qu'à la fin de l'usufruit, sauf convention contraire. L’appauvrissement (éventuel) de l’usufruitier n’est donc effectif qu’à la fin de l’usufruit.
En l’espèce, deux époux avaient consenti à leurs trois enfants une donation-partage portant sur la nue-propriété de leur patrimoine, avec « réserve d'usufruit au dernier vivant », dont une maison d'habitation fut attribuée à l’une des donataires. Durant l’usufruit, la mère avait entrepris des travaux de rénovation sur ladite propriété afin de rendre habitable cet ancien logement de garde, resté longtemps désaffecté. L’usufruitière avait ainsi pris en charge non seulement les gros travaux incombant en principe à la nue-propriétaire (en vertu de l’article 605, alinéa 2, du code civil), mais également des travaux d'aménagements (électricien, plombier, interphone, restauration de façade, éclairage, ravalement, rénovation d'appartements) relevant selon la loi de la charge de l'usufruitier (C. civ., art. 605, al. 1er). Au décès de la mère, la nue-propriétaire fut condamnée à rapporter à sa succession une certaine somme, au titre de l’ensemble des travaux financés. La cour d’appel releva notamment, à cet effet, que les travaux incombant légalement à l’usufruitière n'étaient pas rendus nécessaires par une contrainte de bail et que l'intéressée n'en avait tiré « aucune contrepartie à son bénéfice ».
Dans son pourvoi, la fille reprochait aux juges du fond d’avoir considéré comme une libéralité l’intégralité des travaux alors, selon elle, que la réalisation par l'usufruitier des travaux qui lui incombent en vertu de la loi ne peut constituer une libéralité à l'égard du nu-propriétaire.
Cet argument n’a pas convaincu la troisième chambre civile, qui rejette le pourvoi. Rappelant que l’appréciation de la réunion des éléments constitutifs d’une libéralité (appauvrissement et intention libérale) relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond, la Haute cour précise que la réalisation par l'usufruitier de travaux d'amélioration valorisant le bien n'est pas exclusive d'un dépouillement dans une intention libérale, constitutifs d'une libéralité, peu important que ceux-ci soient légalement à sa charge.
La solution peut paraître surprenante, mais elle se comprend si on considère que les travaux légalement à la charge de l’usufruitière faisaient suite à des travaux d’amélioration qui n’avaient, semble-t-il, pas été réalisés dans l’intérêt de l’usufruitière. On pourrait dès lors considérer qu’ils étaient en quelque sorte accessoires aux travaux d’amélioration, et qu’ils n’auraient pas été effectués si le bien avait simplement été maintenu dans son état d’origine par l’usufruitier, ainsi qu’il y est légalement tenu.
Mais surtout, la cour d’appel a relevé que les travaux (incombant légalement à l’usufruitière) n'étaient pas rendus nécessaires par une contrainte de bail et que l'intéressée n'en avait tiré aucun avantage. Elle en a (souverainement) déduit qu'en finançant l'ensemble de ces travaux, l’usufruitière s'était appauvrie, dans une intention libérale, au profit de la nue-propriétaire, de sorte que la somme correspondante devait être rapportée à la succession.
Cet arrêt rappelle donc fermement que la réalisation de travaux par l’usufruitier, même lorsqu’ils sont légalement à sa charge, n’est pas toujours dispensée de rapport.
Cass. 1re civ., 23 oct. 2024, n° 22-20.879, n° 580 D - Site EditionsLégislatives 16/12/2024
PR