Vers une loi EGAlim 4 ?
Publié le 07.11.2024
Début 2024, la crise agricole a conduit le Gouvernement alors en place à créer une mission parlementaire sur l’évaluation et l’évolution du cadre législatif des lois EGAlim. Le rapport issu de ces travaux vient d’être rendu public et apporte des pistes concrètes d’amélioration du dispositif existant.
Nul ne sait si le document sera pris en compte, ni même si une nouvelle loi EGAlim verra le jour. La probabilité d’un aménagement législatif est toutefois élevée dès lors que le Gouvernement avait, à l’époque, annoncé un triptyque de mesures composé d’une loi d’orientation agricole (PLOA), d’une loi EGAlim 4 et de mesures intégrées à la loi de finances 2025. La dernière promesse sera bientôt remplie : le projet de loi de finances reprend l’intégralité des mesures consensuelles annoncées en janvier 2024.
Les autres avancées tardent en revanche à se concrétiser. Le Premier ministre a annoncé, lors de son discours de politique générale, une reprise « sans délai » de l’examen du PLOA, sans que cette annonce ne soit suivie d’une inscription à l’ordre du jour d’une des assemblées. Quant à l’amélioration du revenu des agriculteurs via la loi EGAlim, rien n’a été dit. Une loi autonome était envisagée, elle pourrait aujourd’hui être utilement intégrée au PLOA pour répondre à la nouvelle vague de mobilisation du monde agricole qui semble se préparer.
Quelle que soit l’option que choisira le Gouvernement, il devra conjuguer les intérêts divergents des producteurs, organisations interprofessionnelles, industriels et distributeurs, intérêts qui ressortent explicitement de la large consultation menée par la mission parlementaire en amont de la rédaction du rapport EGAlim.
Encourager la contractualisation écrite
Pour les parlementaires, le succès du dispositif passe d’abord par un recours accru à la contractualisation écrite. Pour ce faire, la proposition de contrat que le producteur doit établir pour déclencher le dispositif EGAlim pourrait être simplifiée (C. rur., art. L. 631-24, III et IV) : le document mentionnerait le prix demandé (ou ses modalités de fixation), le produit concerné et son volume. La référence à un indicateur deviendrait ainsi facultative. En outre, à défaut de proposition par le producteur, l’acheteur pourrait se charger de la contractualisation, pratique habituelle par exemple dans la filière viti-vinicole (proposition 10).
Une granularisation plus fine de la réglementation pour coller à la pratique des différentes filières est par ailleurs recommandée. L’obligation de contractualisation serait étendue aux fruits et légumes destinés à la transformation et à la conservation ainsi qu’à une partie de la filière viti-vinicole (exclusion des vins haut de gamme) avec l’accord des interprofessions (proposition 6). La filière bovine, rétive à la contractualisation, se verrait quant à elle suivie par un dispositif d’accompagnement vers une contractualisation qui resterait facultative. Les parlementaires constatent en effet que la contractualisation est inenvisageable pour les vaches laitières « de réforme » ou pour le bétail d’exportation (proposition 7 et 11).
Dans le même esprit, la durée minimale du contrat en fonction serait aménagée en fonction des secteurs. Dans les filières bovines ou des fruits et légumes frais par exemple, la durée réglementaire de 3 ans est manifestement trop longue (proposition 11).
Négocier à armes égales
Des indices de coûts de production à développer
Pour que les agriculteurs puissent négocier avec toutes les clés en main, la création d’un outil d’évaluation des coûts de production individuels est recommandée (proposition 8). Elle s’accompagnerait d’une réforme des indices de coûts de production. A l’heure actuelle, seules les filières du lait et du bœuf le proposent, les autres interprofessions fournissant un indice de tendance qui ne constitue pas une base objective pouvant être incluse dans une formule de construction du prix.
Le rapport demande donc qu’une méthodologie de calcul de l’indice soit déterminée par décret à l’intention des interprofessions (proposition 15). Celles-ci pourraient, et devraient, élaborer ces indices et assurer leur actualisation périodique (proposition 14). Dans les contrats et accords-cadres EGAlim, la pondération de cet indice devrait être supérieure à 50% (proposition 16).
La mesure fait débat : accueillie favorablement par de nombreux secteurs de production, elle est décriée par les transformateurs mais aussi par le secteur coopératif et les filières végétales. Ces derniers craignent qu’une pondération trop importante de l’indice rigidifie la construction du prix avec notamment pour conséquence un prix final élevé par rapport aux produits importés concurrents. La filière des fruits et légumes souligne par ailleurs l’impossibilité technique de mettre en place des indices au vu du nombre de produits référencés et d’un marché par nature très volatil.
Remarque : la solution d’un prix plancher est, quant à elle, massivement rejetée.
Le séquencement indispensable des négociations commerciales
La mesure qui consiste à instaurer une date butoir pour la conclusion du premier contrat suscite la controverse. Les agriculteurs militent pour un renforcement du principe de construction des prix en « marche avant » : la négociation doit partir chronologiquement du contrat amont entre le producteur et son premier acheteur, en intégrant le coût de la matière première agricole (MPA), pour se terminer par les contrats avec les distributeurs, ceci pour garantir que le prix payé au producteur ne soit pas tiré vers le bas par les marges imposées aux acteurs suivants de la chaîne contractuelle.
A l’heure actuelle, la seule date limite imposée est à l’aval, au 1er mars, pour la finalisation des contrats entre distributeurs et industriels. Le rapport suggère deux pistes. La première consisterait à mettre en place un échéancier des négociations, avec une conclusion des contrats premiers acheteurs au 1er novembre, une obligation d’envoi de ses CGV par le fournisseur au 1er décembre et une date finale de signature inchangée au 1er mars pour les contrats de l’aval (proposition 13). La deuxième option, plus souple, intégrerait une date butoir mobile : la convention amont devrait être signée au plus tard 3 mois après la transmission de ses CGV par le fournisseur, cette formalité étant conditionnée par la conclusion préalable des contrats aval (proposition 13 bis).
Les producteurs et industriels sont attachés au principe de la date fixe, qui évite d’entrer dans un cycle de négociation perpétuelle avec les distributeurs. Ceux-ci au contraire pointent du doigt la rigidité du système actuel. Le rapport reste donc prudent : il évoque les deux solutions et recommande une nouvelle consultation dédiée au sujet.
La part de MPA, un secret bien gardé
Pour satisfaire à l’obligation d’indiquer, dans leur CGV, la part de matières premières agricoles (MPA) contenue dans leur produit, en volume et en prix, les fournisseurs recourent massivement à l’option 3 prévue par le dispositif EGAlim (C. com., art. L. 441-1-1). Ils font ainsi appel à un tiers indépendant qui certifie, avant et après la négociation commerciale, de la véracité de l’évolution de la MPA, préservant ainsi le secret sur la composition des matières premières utilisées.
Cette option est décriée par les distributeurs qui réclament plus de transparence. Le rapport souligne en outre son coût élevé (50 000 € par attestation) qui exclut de facto les entreprises de petite taille.
Pour concilier ces paramètres, les parlementaires recommandent une fusion des options 2 et 3 actuellement en vigueur, l’option 2 consistant une agrégation des données relatives aux matières premières agricoles et aux produits transformés composés de plus de 50 % de MPA entrant dans la composition du produit. Ne subsisteraient alors que deux options : la première, qui demeurerait inchangée, établit une transparence totale, le fournisseur indiquant le pourcentage en volume et le pourcentage de son tarif pour chaque MPA et chaque produit transformé composés de plus de 50 % de MPA. La nouvelle option 2 obligerait les fournisseurs à présenter la part agrégée et l’origine des trois principales MPA, sous forme de pourcentage en volume et en part du tarif fournisseur (proposition 20).
Remarque : l’indication de l’origine permet de fiabiliser la négociation pour les distributeurs qui ne se voient pas actuellement communiquer cette donnée. L’origine France étant toutefois difficile à tracer pour certains produits, par exemple ceux de seconde transformation, le rapport suggère de laisser une porte de sortie aux fournisseurs qui auraient la possibilité d’indiquer qu’ils ne sont pas en mesure de fournir cette information (proposition 17). La mesure est donc une avancée en demi-teinte qui ne jouera que pour les industriels ayant intérêt à faire valoir l’origine de leurs produits.
L’ajustement du prix en question
Deux dispositifs sont actuellement appliqués pour permettre un ajustement du prix en cours d’exécution des contrats amont et aval : une clause de révision automatique du prix (C. rur., art. L. 631-24, III, 1° ; C. com., art. L. 443-8) et une clause de renégociation obligatoire dans un certain nombre de secteurs (C. rur., art. L. 631-24, III, al. 16 ; C. com., art. L. 441-8 et D. 441-3).
Le rapport suggère de supprimer la première à raison de son caractère peu praticable (proposition 21). Il ressort en effet de la consultation qu’à l’ajustement automatique, les PME préfèrent la pratique de la renégociation contractuelle. Par ailleurs, les industriels dans leur ensemble pointent l’inopérabilité de la clause de révision, son déclenchement étant en pratique fixé à des seuils qui ne sont que très rarement atteints. Les arguments ne sont pas partagés par les producteurs qui estiment au contraire que la révision automatique vient en appui de celle sanctuarisant la PMA (v. ci-dessus)
Concernant la renégociation, les parlementaires conserveraient le principe de la liberté contractuelle jusqu’ici mis en oeuvre : la clause est négociée par les parties et se déclenche au regard des critères définis par elles. Toutefois, elle ne serait désormais obligatoire qu’à condition que les GCV le prévoient. Corrélativement, le distributeur ne pourrait pas imposer une période d’observation plus longue que celle prévue par les CGV. Le dispositif, ainsi rendu facultatif pour l’aval, le serait aussi pour les contrats amont (proposition 22). Là encore, les avis sont dissonants, les producteurs étant opposés à une clause facultative qui les exposerait à des pressions tarifaires sans relation avec l’évolution des coûts.
Site EditionsLégislatives 23/10/2024
PR