


Vente de terres agricoles à un héritier présomptif : notion de libéralité rapportable en cas de bail rural
Publié le 24.04.2025
La vie de famille n'est pas toujours organisée autour du code civil, et il est fréquent, souvent pour de justes motifs, que les parents aident leurs enfants et ce, notamment dans le domaine agricole. Le législateur avait, dès 1939, ouvert la voie à ces aides financières avec le contrat de travail à salaire différé, mais cela peut passer par des conventions telles que le bail qui procure indéniablement un avantage à celui des héritiers qui en est titulaire.
La mutation à titre onéreux peut elle-même révéler un avantage. Lorsque des parents vendent un bien à un descendant, il est fréquent qu'ils retiennent un prix proche de l'estimation la plus basse de la fourchette.
Tel était le cas révélé lors d'un règlement successoral à l'occasion duquel un des deux héritiers demandait le rapport d'une libéralité consentie à son frère résultant d'une vente à un prix jugé trop faible. La cour d'appel avait désigné un expert avec mission d'évaluer les biens vendus le 1er juin 2012 comme des biens libres d'occupation mais l'héritier acquéreur ayant formé un pourvoi, la Cour de cassation devait censurer l'arrêt d'appel.
Les juges du fond avaient estimé que les biens devaient être évalués libres d'occupation en considérant que, du fait de l'acquisition, le bail prenait fin par confusion et que les biens devenaient donc libres par le seul fait de l'acquisition.
La Cour de cassation décide que l'existence de l'élément matériel d'une libéralité rapportable pouvant résulter de la minoration du prix de vente de terres agricoles à un héritier présomptif doit s'apprécier au regard de la valeur réelle des biens au jour de leur vente, considération prise de l'existence d'un bail, peu important que celui-ci ait été consenti à cet héritier.
Cette solution avait été retenue dans le cas où le preneur auquel a été notifiée la vente du bien loué saisit le tribunal paritaire pour faire réduire le prix. La Cour de cassation avait en effet décidé que la moins-value résultant de l'existence d'un bail au jour de la vente devait être prise en considération même si l'acquéreur était le fermier.
En matière successorale, elle avait pourtant retenu une autre interprétation. S'agissant de l'attribution préférentielle au profit du descendant, elle décidait en effet que l'on devait tenir compte de la valeur « occupée » si l'attributaire n'était pas le preneur mais qu'en revanche, les biens devaient être estimés libres si l'attributaire avait la qualité de preneur.
Le rapport des libéralités et l'attribution préférentielle étant liées aux opérations de partage on peut être surpris de voir retenues deux manières d'évaluer le bien loué à l'un des copartageants selon qu'il l'acquiert à titre onéreux ou qu'il lui est attribué dans le partage. Mais il semble qu'il s'agisse d'un revirement de jurisprudence car les Hauts magistrats civils avaient, il y a peu, décidé que dès lors que le bail s'éteint par confusion, la décote liée à l'existence d'un bail ne peut s'appliquer, ce qui conduit à y voir une donation déguisée.
Cass. 1re civ., 26 mars 2025, n° 22-23.937, n° 193 B Site EditionsLégislatives 14/04/2025