Retrait de vidéos dénonçant les conditions d’élevage tournées sur la propriété de l’éleveur
Publié le 24.10.2024
Une association de protection des animaux met en ligne sur son site internet et les réseaux sociaux des vidéos tournées dans les locaux d’éleveurs sans l’autorisation de ces derniers, intitulées « Enquête : le calvaire de milliers de poules pondeuses de l’élevage en plein air d’X » et « Nouveau scandale dans l’élevage d’Y ».
Les éleveurs poursuivent l’association en référé afin d’obtenir notamment le retrait des vidéos, dont ils soutiennent qu’elles leur causent un trouble manifestement illicite. L’association réplique en invoquant deux arguments, écartés par la Cour de cassation dans deux arrêts du même jour, qui juge que la demande des éleveurs doit être accueillie.
L’association faisait d’abord valoir qu’il n’était pas établi que ces vidéos avaient été tournées au cours d’une intrusion dont elle serait l’auteur. La Haute Juridiction répond qu’un propriétaire peut s’opposer, à la diffusion, par un tiers, d’une vidéo réalisée sur sa propriété, y compris par la voie du référé, lorsque cette diffusion lui cause un trouble manifestement illicite. Peut caractériser un tel trouble la diffusion d’une vidéo, tournée à l’intérieur de ses locaux sans son autorisation, peu important qu’elle l’ait été ou non au cours d’une intrusion et que son auteur soit ou non identifié.
L’association soutenait ensuite que l’existence d’un trouble illicite doit être appréciée au regard du droit d’information des consommateurs. Mais, répond la Cour, le juge doit procéder à la mise en balance des droits en présence : le droit de l’association à la liberté d’expression et le droit de l’éleveur au respect de ses biens. Il résultait des éléments suivants que les moyens choisis par l’association aux fins de parvenir à son objectif de sensibilisation à la cause animale avaient causé une atteinte disproportionnée aux droits de l’éleveur : il existait un débat public d’intérêt général sur la question du bien-être animal et l’association disposait d’un droit d’informer le public sur le sujet et de choisir les moyens d’expression qui lui paraissaient adaptés ; le tournage des vidéos en violation du droit de propriété de l’éleveur avait engendré un risque pour la santé des animaux et des consommateurs découlant de la méconnaissance des normes sanitaires strictes en matière d’accès aux locaux et des mesures de biosécurité ; enfin, la divulgation des images présentées de manière particulièrement accrocheuse, destinée à susciter l’indignation de l’opinion publique, comportait un risque important de mise en péril de la jouissance paisible du propriétaire.
A noter : Le propriétaire d’un bien ne dispose pas d’un droit exclusif sur l’image de celui-ci mais il peut toutefois s’opposer à l’utilisation de cette image par un tiers lorsqu’elle lui cause un trouble anormal. Il a été admis que ce trouble anormal puisse résulter d’un film tourné après s’être introduit sans autorisation dans les bâtiments d’une exploitation agricole. Dans ces deux dernières décisions, toutefois, une intrusion dans les locaux de l’éleveur avait été constatée alors que la preuve d’une telle intrusion n’était pas rapportée dans les arrêts commentés.
Lorsque le propriétaire de cette exploitation veut faire cesser la diffusion d’un tel film sur internet, destiné à dénoncer les conditions d’élevage d’animaux, et qu’il exerce une action en référé à cette fin, il peut se voir opposer le droit à la liberté d’expression de l’association. Dans ce cas, le juge des référés est tenu de procéder à une mise en balance des intérêts en présence et de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime.
La Haute Juridiction rappelle à cet égard, que cette mise en balance doit être réalisée en suivant le raisonnement suivant :
- les restrictions à la liberté d’expression doivent répondre à un besoin social impérieux, en particulier lorsqu’elles concernent un sujet d’intérêt général, tel que la protection des animaux ; - une association qui entend se prévaloir de la liberté d’expression au soutien de la défense de la cause animale doit, comme les journalistes, observer un comportement responsable et, partant, respecter la loi. Mais, si la violation de la loi constitue un motif pertinent dans l’appréciation de la légitimité d’une restriction, elle ne suffit pas, en soi, à la justifier, le juge national devant toujours procéder à cette mise en balance des intérêts en présence.
Reprenant les critères dégagés par la Cour européenne des droits de l’Homme, la Cour de cassation précise ici que, en vue d’évaluer la proportionnalité d’une ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression, il y a lieu de prendre en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée, l’objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de ladite publication, le mode d’obtention des informations et leur véracité ainsi que la gravité de la sanction imposée (CEDH 10-11-2015 no 40454/07 point 93).
Cass. 1e civ. 10-7-2024 n° 22-23.170 FS-B, Assoc. Vegan impact c/ Sté Le Poulailler d’X Cass. 1e civ. 10-7-2024 n° 22-23.247 FS-B, Sté La Ferme du pré c/ Assoc. Vegan impact
L’@ctualité en ligne, www .efl.fr 02/10/2024
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