Réciprocité des distances imposées à l'implantation des bâtiments d'élevage

Les contentieux suscités par l’application de l’article L. 111-3 du code rural restent rares mais leur issue n’en est pas moins rude comme l’illustre l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Nancy le 27 décembre 2024. C’est, en effet, le principe de réciprocité des distances imposées à l’implantation des bâtiments agricoles - essentiellement les bâtiments d’élevage - qui conforte finalement le refus de permis de construire bien que sa justification « urbanistique » soit erronée.

Un projet de transformation de deux bâtiments agricoles en une habitation est à l’origine du litige. La demande de permis de construire ayant suscité l’avis défavorable de la chambre départementale d’agriculture des Ardennes, un refus est opposé au pétitionnaire sur le fondement de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme. Cette disposition d’ordre public peut justifier un refus d’autorisation si le projet, en raison notamment de sa localisation, suscite un risque pour la sécurité ou la salubrité publique ou est exposé à un risque de même nature. En l’occurrence, la maire de la commune a justifié son opposition au changement de destination en raison de la trop grande proximité de la future habitation avec des bâtiments abritant une vingtaine de bovins et, en conséquence, de l’exposition aux odeurs et au bruit causés par ce cheptel. Cependant, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne annule le refus en raison de l’erreur d’appréciation commise par la maire. La proximité des bâtiments d’élevage n’est pas discutable : les bâtiments à transformer sont séparés des stabulations par un chemin privé d’une largeur de 5 à 7 mètres maximum ; néanmoins, les risques de nuisances ne sont pas établis puisque ce sont les murs des stabulations qui bordent le chemin, ils sont très élevés et sans ouverture. Afin de ne pas avoir à respecter l’injonction du tribunal de délivrer le permis de construire sous deux mois, la commune fait appel du jugement et sollicite de façon décisive, une substitution de base légale en visant ensemble l’article L. 111-3 du code rural et l’article 153-4 du règlement sanitaire départemental des Ardennes. Selon l’article L. 111-3, les distances d’implantation imposées aux bâtiments agricoles sont réciproquement opposables aux demandes de permis de construire des habitations à proximité des constructions agricoles, et ce, quelle que soit la teneur des documents d’urbanisme en vigueur. Or, le RSD des Ardennes prescrit le respect d’une distance d’au moins 50 mètres par rapport aux habitations et autres immeubles habituellement occupés par des tiers, lors de l’implantation des élevages de bovins. En l’espèce, la configuration des lieux rend impossible le respect des cinquante mètres, le requérant ne pouvant pas établir que le troupeau restera parqué en fond de parcelle, au point le plus éloigné de sa propriété. Dès lors, l’autorité administrative devait opposer un refus à la demande de permis de construire. La cour annule le jugement de première instance.

En rappelant que la méconnaissance de la règle de réciprocité suffit en elle-même à justifier un refus opposé, sans qu’il soit nécessaire de démontrer l’existence d’un risque suffisant de nuisances, les juges d’appel mettent ainsi nettement en exergue le différentiel entre code rural et code de l’urbanisme. En effet, pour opposer un refus sur le fondement de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme et a fortiori depuis l’arrêt « Tanneron », il est nécessaire d’établir un risque en termes de sécurité ou salubrité publiques mais aussi d’avoir vérifié qu’il était impossible d’envisager la délivrance d’une autorisation en l’assortissant de prescriptions sans dénaturer le projet (CE, 26 juin 2019, n° 412429). Le code rural n’est pas aussi restrictif dans sa logique de prévenir de futurs conflits de voisinage.

CAA Nancy, 27 déc. 2024, n° 22NC00382 - Site EditionsLégislatives 25/03/2025